Une vie d’amour, de vision et de générosité
Rita Jaeger est décédée fin Novembre 2015 en Hollande, dix ans après son regretté mari, Haïm Wolf (Willy) z’l. Sa disparition marque la fin de la saga d’un couple juif exceptionnel dont la vie est emblématique de l’histoire de notre peuple au XXe siècle, avec ses terribles épreuves et ses innombrables réussites. Leur fille, Louise Paktor, grande donatrice et lauréate du Prix Yakir 2014 du Keren Hayessod, suit fidèlement leurs traces.
Haïm est né en Galicie, (Ukraine aujourd’hui) en 1914, à la veille de la première Guerre mondiale et a grandi à Vienne, où sa mère s’était enfuie avec ses cinq enfants après la mobilisation de son père dans l’armée autrichienne. Après la guerre, la famille partit aux Pays-Bas et s’installa à La Haye, où elle ouvrit une boulangerie. Le jeune Willy devint maître- boulanger, ce qui devait un jour lui sauver la vie. Tout en restant fidèle aux valeurs de sa famille, notamment au don de la Tsédaka, il fut attiré par le sionisme et adopta un mode de vie moderne, appréciant les voyages, le sport, la danse et autres activités.
La vie de Willy, comme celle de tous les Juifs hollandais, fut bouleversée par l’occupation allemande des Pays-Bas, en Mai 1940. Dans un premier temps, les Juifs furent exclus de la société hollandaise et forcés de rester confinés dans leurs propres cadres sociaux. C’est en jouant au ping-pong dans un club de sports communautaire, que Willy rencontra Dick Teixeira de Mattos, descendant d’une célèbre famille juive portugaise. Dick lui présenta sa sœur Rita, née à Amsterdam en 1920. Elle le défia au ping-pong. Willy perdit la partie mais gagna le cœur de Rita, ce fut le début d’une merveilleuse histoire d’amour qui se poursuivra jusqu’au décès de Willy en 2006.
Willy et Rita se marièrent en novembre 1941, mais furent contraints de se cacher car les déportations massives avaient commencé en Hollande. Découverts par la police néerlandaise, ils furent envoyés au camp de transit de Westerbork, où les capacités de maitre-boulanger de Willy, appréciées par la direction du camp, lui sauvèrent la vie. Par chance, Rita ne fut pas envoyée à Auschwitz à bord du dernier train et put rester avec Willy à Westerbork, d’où ils furent tous deux libérés en avril 1945.
Le chagrin causé par la perte de leurs familles, à l’exception du neveu de Willy, Jack, qu’ils accueillirent, et la dure situation en Hollande, rendirent très difficile un retour à la vie « normale ». Ils commencèrent par reconstruire la boulangerie mais très vite, Willy rechercha une autre source de revenus. Après-guerre, les textiles étaient très rares, il décida de créer une entreprise de confection. Rita dirigea un temps la boulangerie puis rejoignit Willy dans sa nouvelle entreprise. Leur fille Louise naquit en 1948, la proclamation de l’État d’Israël précédant ce joyeux événement de trois petites semaines !
Rita et Willy étaient seuls aux commandes de l’entreprise textile Teidem, lancée en 1949. Willy développa la firme, achetant des stocks en Belgique, en Allemagne et en Italie. Teidem devint une grande entreprise, avec des volumes d’importations de plus en plus importants. Cette activité fut l’occasion de nombreux voyages pour Rita et Willy, alliant affaires et plaisir, notamment en Extrême-Orient. L’ouverture de nouveaux bureaux et d’un entrepôt en Hollande en 1975, d’un bureau et d’un entrepôt en Belgique ainsi que d’un bureau de vente en Allemagne témoignent de leur impressionnante réussite, renforcée en 1986 par un développement de leurs locaux hollandais. Le rêve de Rita et Willy était devenu réalité. Le lancement d’une entreprise au Portugal, d’où la famille de Rita avait été expulsée près de 500 ans plus tôt, eut une signification particulière.
Si leur travail était important, les amis et la famille étaient une priorité pour Rita et Willy. Les cousins israéliens de Willy lui étaient très chers, il les considérait comme des frères. Il leur rendit visite avec Rita dans les années 50, au cours du premier de leurs nombreux voyages.
Ils eurent une vie sociale très riche et le don de la Tsédaka dans la discrétion les caractérisait. Lorsque Rita reçut des réparations d’Allemagne en 1962, elle transmit les sommes reçues au kibboutz Shamir, où vivaient certains des cousins de Willy, pour financer l’achat d’équipements. Rita était attentive aux besoins des jeunes et des personnes âgées, tant aux Pays-Bas qu’en Israël.
Lorsqu’une maison de retraite juive ouvrit dans leur quartier, elle y fit du bénévolat et invita ses amis et voisins à en faire autant. Lors de ses visites, on lui demandait si elle inspectait les lieux avant de s’y installer, elle répondait invariablement avec humour qu’elle était trop jeune pour y penser.
En 1995, Willy mit un terme à sa vie professionnelle en transmettant l’entreprise à la jeune génération, sa fille Louise et son époux, Menno Paktor. Cela laissa plus de temps, à Rita et Willy pour voyager et profiter de leurs chers petits-enfants, Ilana et Yaron. Marqués par la mort de leurs parents, frères et sœurs pendant la Shoah, la famille avait une place essentielle pour Willy et Rita.
Après la famille et les amis, Israël était au centre de leur vie. Lorsque le regretté Leo Palache z’l leur demanda de prendre une part active à la collecte de fonds du Keren Hayessod à la Haye, ils n’hésitèrent pas un instant. Cet engagement dura plus de 25 ans. Louise se souvient encore de la guerre des Six Jours, « Mon père n’allait plus au bureau. Au lieu de cela, il commença à lever des fonds avec l’un de ses meilleurs amis. Ils rendirent visite à plusieurs capitaines d’industrie qui participaient sur le champ à l’effort de collecte, tant ils étaient impressionnés par l’engagement des deux hommes. »
Après s’être retirée de la vie professionnelle dans les années 60, Rita s’investit au Keren Hayessod Hollande. Elle était engagée en faveur d’Israël sur plusieurs fronts, les projets qu’elle soutenait, les membres de sa famille et surtout ses deux petits-enfants installés en Israël. Elle déclarait toujours qu’elle se sentait plus détendue en Israël que chez elle.
Willy était fier de voir l’État hébreu surmonter ses défis et de l’émergence d’un nouveau type de juif, un Israélien fier. Louise pense qu’il regrettait parfois de ne pas avoir fait son Alyah après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, il pensait qu’il n’aurait pas réussi aussi bien en Israël qu’aux Pays-Bas, un succès qui lui a permis de soutenir de nombreux programmes et projets en Israël.
Lorsque Rita s’effondra, Willy se rendit compte de la chance qu’avait sa famille de pouvoir lui prodiguer les meilleurs soins possibles. La plupart des personnes âgées et fragiles n’ont pas ce privilège. Son dernier acte fut d’inscrire l’État d’Israël sur son testament, dans une clause stipulant que les personnes âgées et fragiles d’Israël devaient être les bénéficiaires de ce legs. C’est ainsi que des décennies de générosité, de vision et d’engagement sioniste ont atteint leur point culminant. « Sioniste un jour, sioniste toujours. » Telle était sa devise.
Le souvenir de Rita et Willy Jaeger est très présent en Israël où il est perpétué par de nombreux projets. Voici une liste partielle de projets attestant de l’intérêt porté par Willy et Rita à nombre de causes en Israël :
• Octobre 1992, rénovation et inauguration d’un centre communautaire à Kiryat Gat.
• Inauguration en l’an 2000 de l’école Hadar pour enfants polyhandicapés.
• Mars 2001, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de l’entreprise familiale Teidem, Louise et Menno Paktor inaugurent le centre de soins de jour Bet Haïm à Lod, au nom du père de Louise.
• Inauguration en 2003 d’un centre communautaire destiné à la communauté éthiopienne dans le quartier de Kiryat Moshé de Rehovot.
• 17 mars 2009, jour de l’anniversaire de Willy, Louise et Menno inaugurent pour la seconde fois deux internats dans le village de jeunes, Hadassah Neourim. Construits à l’origine grâce à un don de Willy et Rita, et ils ont été rénovés grâce aux fonds légués par Willy.
• 26 octobre 2011, inauguration à Kiryat Yam du centre de soins de longue durée d’Amigour, Beit Rita, qui porte le nom de la mère de Louise.
Puisse leur mémoire être source de bénédiction et l’histoire de leur vie être un exemple pour tous.
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